« Mon cher Ami,
Vos articles sont bien de ceux qui font le tour de la presse et ne laissent aucun lecteur indifférent. L’énorme émotion par celui que, sous notre inspiration, vous avez écrit sur Goritz, en est bien la preuve, et je ne m’étonn nullement que cela ait tout l’air de prendre l’importance d’un événement. Mais puisque l’Univers essaie de démentir les faits allégués, c’est bien le cas d’être catégorique.
Non certes « les doléances du Visiteur à Goritz » ne sont pas de pure imagination. Il est de fait qu’on ne saurait rien de plus navrant que l’état d’abandon dans lequel est laissé le tombeau du comte de Chambord. Le caveau même où sont déposés les reste d’Henri V est fort ma entretenu, pour ne pas dire pas du tout : partout des taches de bougies et de cire, en certains endroits accumulés et formant stalactites, partout une malpropreté et une négligence des choses désolantes. Vous savez que le caveau est extrêmement étroit ; il renferme six tombeaux et ne peut contenir que trois ou quatre personnes au plus. L’accès en est défendu par une solide porte de fer verrouillée comme celle d’une prison. Où l’Univers a-t-il pris que « le caveau funéraire aurait été converti en une sorte de resserre dans laquelle le jardinier du couvent de Castagnaviza suspend des rangs d’oignons pour les faire sécher ». Autant que je puisse me rappeler la teneur de votre article, mon cher Ami, il n’est nullement question de rangs d’oignons suspendus dans le caveau funéraire même, ce qui eût été parfaitement invraisemblable. L’Univers a oublié d’éclairer sa lanterne et aura pris sans doute sa partie pour le tout. C’est dans l’escalier qui y conduit que j’ai vu les fameux chapelets d’oignons dont quelques uns détachés avaient roulé sur les marches même, et dans une espèce de recoin attenant à l’escalier, quantité de pots de fleurs délaissés, trainant de ci de là ; au milieu de toute cette poussière des choses d’inextricables réseaux de toiles d’araignées pour lesquelles les mains monastiques ont sans doute infiniment de respect. J’ajouterai que certaines couronnes décorant les murailles dont un état de délabrement tel que qu’on aurait pu les supprimer ou tout au moins les remplacer à peu de frais. Quant au couvent lui-même en sont d’une saleté qui répugne à toute description et ne croyez pas que j’exagère. Il es tel petit chemin longeant la partie nord du couvent où les pieds ne savent où se poser tant il y a d’immondices de toutes sortes. C’est un écœurement.
Rien n’est plus exact qu’il n’y ait pas un moine au couvent sachant parler le français. Celui qui nous a servi de guide et au bout de combien de temps et de démarches nous avons pu l’obtenir, était sordide . Jamais je n’oublierai l’impression produite sur ma cérébralité par l’action du moine, dans le caveau à tour de rôle, faisant soupeser le couronne de vermeil et son air d’ahurissement en nous voyant nous agenouiller devant le petit autel Évidemment cela lui paraissait tout-à-fait- extraordinaire et dehors des accoutumances De tout cela nous sommes sortis navrés, les larmes plein les yeux à la pensée de tant d’infortune et de tant d’oubli
Voilà, mon cher Ami, la vérité vraie ; je ne saurais vous dire combien il m’en coûte de remuer les cendres encore chaudes Vous pouvez faire de cette lettre tel emploi que vous voulez N’ayant pas votre article sous les yeux non plus que celui du Figaro je n’ai pu donner à ces réflexions leur forme définitive Vous verrez ce qu’il y a à prendre et à laisser »