Incident

des lettres du comte de Chambord saisies.

Extrait de Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle, de Maxime du Camp. Librairie Hachette, 1883, pp 53 et 54.

Au mois de janvier 1867, un incident vint tout à coup solliciter l’opinion publique, appeler son attention sur le secret des lettres et déchaîner une tempête d’une extrême violence. Les journaux s’emparèrent de la question, la discutèrent avec feu, et le Corps législatif, dans la séance du 23 février, eut à se prononcer sur une interpellation très accentuée formulée par M. Eugène Pelletan. Quel événement avait donc motivé cette juste et légitime émotion ? Le comte de Chambord avait fait autographier une dans laquelle il s’expliquait, je crois, sur la situation intérieure du pays. Cette , mise sous enveloppe, avait été envoyée à un assez grand nombre de personnes en France. Le préfet de police, au lieu de fermer les yeux sur un pareil fait qui n’avait rien d’inquiétant, rédigea, en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 10 du code d’instruction criminelle, une réquisition en date du 23 janvier 1867, pour faire saisir la susdite dans les bureaux de poste. Le directeur général des postes, obéissant à la réquisition du préfet de police agissant comme magistrat, adressa le 24 janvier une circulaire à tous ses agents et leur intima l’ordre de saisir, partout où ils pourraient la reconnaître, la fameuse signée Henry.

La circulaire fut promptement connue et divulguée par la voie de la presse ; il y eut grand bruit dans Landerneau. La discussion ouverte au Corps législatif sur ce sujet fut instructive, car elle prouva péremptoirement et une fois de plus encore l’inanité de pareilles mesures. Le directeur des postes avoua, avec une bonne foi qui mit bien des rieurs de son côté que les efforts de son administration avaient abouti à faire arrêter cinq lettres qu’on présumait contenir la lettre suspectée. Les cinq lettres envoyées au préfet de police, furent rendues par lui au service des postes sans avoir été ouvertes, et subirent douze ou vingt-quatre heures de retard dans la transmission.

Quand au fait en lui-même, régulier en principe, car la loi est malheureusement formelle à cet égard, il était irrégulier dans l’application. Le directeur général, au lieu d’agir sur tous les bureaux disséminés sur le territoire de la France, aurait dû limiter son action au département de la Seine, qui est la circonscription de l’autorité du préfet de police, et attendre la réquisition successive de tous les procureurs généraux pour faire opérer dans le ressort de chacun d’eux. Là était l’illégalité : elle ne fut pas niée par l’autorité compétente. En présence des explications données, la Chambre passa simplement à l’ordre du jour.

La malice française s’en mêla, et pendant longtemps des lettres jetées à la poste portaient ces mots sur l’enveloppe : Rien du comte de Chambord.